Marine gazier C’est le temps de la Lente et Douce Apocalypse
Vernissage samedi 13 décembre de 17h à 20h
Il y a chez Marine Gazier une sensibilité aiguë, presque trop fine, qui saisit les variations minuscules et les tensions que d’autres laissent échapper. Ses dessins naissent dans cette zone sensible où la perception s’affine, où chaque image requiert une approche attentive avant de se laisser voir.
Née en 1998, Marine Gazier vit et travaille à Limoges. Après un passage à l’EBABX, l’École des Beaux-Arts de Bordeaux, elle s’écarte du cadre académique pour développer une pratique résolument personnelle. Son médium unique est le papier, travaillé au graphite mêlé à l’aquarelle dans des formats miniatures exigeant du regard une attention de très près. Ses œuvres mettent en scène des figures ambiguës, ni hommes ni femmes, évoluant dans des paysages crépusculaires. Sa palette de noirs, de gris et de blancs tenus, parfois traversée d’un voile de couleur infime, fait surgir une lumière intimiste où les nuances s’ordonnent en chuchotements visuels. « J’ai un rapport quasi religieux à mon travail », confie-t-elle. Ce n’est pas une formule. Ses dessins relèvent d’un geste presque sacral, qui retient les mots et protège les figures.
L’exposition présentée à la Galerie Da-End réunit deux périodes distinctes. Les œuvres anciennes sont traversées d’une tension forte. Les contrastes y sont serrés, la lumière nocturne, les formes chargées d’une pression intérieure perceptible dans la modulation même des valeurs. À l’inverse, les dessins les plus récents, réalisés depuis un an, témoignent d’une inflexion sensible de son vocabulaire plastique. Le noir s’y atténue, la clarté s’installe, les figures s’apaisent. Là où le clair-obscur exprimait une intensité dramatique, il se transforme désormais en une luminosité diffuse. L’artiste confie qu’il lui était autrefois plus simple de donner forme aux parts sombres des émotions. Aborder des registres plus apaisés demeure pour elle un exercice plus ardu : atteindre une justesse et une profondeur dans la douceur demande un effort plus soutenu que la gravité n’en exige.
De ce déplacement naît une ligne oblique. Nombreuses sont les œuvres qui montrent des personnages rapprochés, enlacés, imbriqués, mais ce qui pourrait passer pour une scène d’intimité amoureuse n’en est pas une. Pour Marine Gazier, il s’agit avant tout d’un rapprochement des matières, d’un contact de surfaces, d’une expérience sensorielle avant toute idée de récit. Peut-être une amitié au bord du sexuel, ou l’inverse, sans pour autant former un couple amoureux. Deux présences appariées, deux parmi une multitude, interchangeables, presque effacées dans l’anonymat. Cette proximité, omniprésente dans ses images, se lit autrement lorsqu’on connaît son rapport au monde. Pour l’artiste, l’autre n’est jamais une évidence, mais une épreuve. La solitude sert alors de protection contre l’épreuve de l’autre, trop intense à soutenir. Le dessin devient l’unique lieu où cette rencontre, impossible ou menaçante dans la vie réelle, peut advenir sans heurt.
Marine Gazier introduit ses personnages dans un territoire imaginaire où la fin ne se présente pas comme un effondrement, mais comme une forme d’issue douce. Elle évoque des cités idéales à la toute fin de l’humanité : une fin lente, où les humains « libres de tout et d’eux-mêmes », les divinités, les géants et les créatures venues d’ailleurs peuvent enfin se rencontrer. Un monde où matière et magie se confondent, où l’Histoire se défait, où tout ce qui peut être su l’est déjà, et où la disparition devient un choix calme, partagé.
À cet endroit, la fin change de nature : elle n’est plus une menace, mais un lieu possible. Dans ces eaux crépusculaires, des créatures se rassemblent derrière la réalité du monde, prêtes à se dissoudre ou à surgir encore.
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There is in Marine Gazier a sharp, almost excessively fine sensitivity, one that catches the minute variations and tensions that others let slip away. Her drawings arise from this delicate zone where perception sharpens, where each image requires a careful approach before it allows itself to be seen.
Born in 1998, Marine Gazier lives and works in Limoges. After studying at EBABX, the Bordeaux School of Fine Arts, she stepped away from the academic framework to develop a resolutely personal practice. Her sole medium is paper, worked in graphite mixed with watercolor on miniature formats that demand a close, attentive gaze. Her works depict ambiguous figures, neither male nor female, moving through twilight landscapes. Her restrained palette of blacks, greys, and whites, at times crossed by an almost imperceptible veil of color, summons an intimate light in which nuances gather into visual murmurs. “I have an almost religious relationship to my work,” she says. This is no figure of speech. Her drawings engage a near-sacral gesture, holding back words and shielding the figures they contain.
The exhibition at Galerie Da-End brings together two distinct periods. The earlier works are crossed by a palpable tension. Their contrasts tighten, the light is nocturnal, the forms laden with an inner pressure perceptible in the modulation of values. By contrast, the drawings produced over the past year reveal a subtle shift in her visual vocabulary. The blacks soften, a gentler clarity settles in, the figures grow calmer. Where chiaroscuro once conveyed dramatic intensity, it now diffuses into a softer luminosity. The artist confides that it was once easier for her to give form to the darker parts of emotion. Approaching more serene registers remains a more demanding task: achieving accuracy and depth in softness requires a sustained effort that gravity itself seems to ask less of her.
From this shift, an oblique line emerges. Many of the works show figures drawn close, entwined, interlocked, yet what might appear to be scenes of romantic intimacy are nothing of the sort. For Marine Gazier, they are first and foremost a meeting of materials, a contact of surfaces, a sensory experience preceding any narrative impulse. Perhaps a friendship on the edge of the sexual, or the reverse, without ever forming a romantic couple. Two paired presences, two among many, interchangeable, almost erased into anonymity. This proximity, so present in her images, reads differently when one understands her relation to the world. For the artist, the other is never self-evident, but an ordeal. Solitude becomes a form of protection against an encounter too intense to bear. Drawing becomes the only place where such a meeting, impossible or threatening in daily life, can occur without violence.
Marine Gazier places her figures within an imagined territory where the end does not appear as collapse, but as a kind of gentle threshold. She evokes ideal cities at the very end of humanity: a slow ending, where humans “free of everything and of themselves,” divinities, giants, and creatures arriving from elsewhere can finally meet. A world where matter and magic intermingle, where History unravels, where everything that can be known is already known, and where disappearance becomes a calm, collective choice.
At this point, the end changes its nature: it is no longer a threat, but a possible place. In these crepuscular waters, creatures gather behind the fabric of the world, ready to dissolve or to surface once more.